Iris presque glaçantes quand les prunelles se posent sur ces visages encore peu familiers dans les couloirs du palais désormais tien. Et les grands murs étrangers font naître ce sentiment particulier dans ta poitrine ; d’être là où tu avais toujours appartenu, là où tu avais toujours du te tenir, capitale du grand Empire. Prince héritier de l’alliance forcée, mais nouvelle, sous les couleurs bleus d’un nom longtemps déchu : tu récupérais ta place, celle pour laquelle on t’avait élevé.
Tes terres te manquaient néanmoins et tu trouvais dans ces nouveaux paysages une mélancolie certaine de là où tu avais grandi.

Et bien que le prince se voudrait chez lui, le prince était seul. Même quand tous se pressaient autour de lui, attendaient ses exigences et ses souhaits, ne vivaient aujourd’hui que pour le servir,
Sejun était comme livré à un destin trop grand pour lui,
Et pourtant il s’efforce d’y tenir, de le servir.
Parce que tu es né pour ça, mon fils.

Mais peut-être qu’ils n’avaient pas besoin d’être seul,
Prince et prince, fatalités liées,
Mariage arrangé.

Tu avais passé la journée dans les forêts proches du Royaume pour y étudier les différentes stratégies et tout ce qui était bon de savoir sur les lieux. Le soleil ne s’était pas encore couché en rentrant, et tu avais demandé ce que ton futur époux avait fait de sa journée. Tu savais qu’il s’ennuyait dans le château, mais tous ses messages de plaintes n’avaient pas été suffisants pour que tu le laisses échapper à la garde assignée.

Et il était là, étendue sur l’herbe du jardin, et tu te surpris à sourire un court instant en posant tes yeux sur lui. Tu t’approches silencieusement sans même y réfléchir, venant te poser à côté,

Quelques secondes,
Cette sensation étrange que tu balayes de tes mots,

« Tu attends que je t’embrasse pour te réveiller comme par magie ? » Tu piques, « Est-ce que tu étais en train de lire des contes de fées, mon prince ? » Tu ajoutes en tentant de prendre le carnet qu’il avait avec lui.

Les journées d’Hayan se ressemblaient et se confondaient toutes. Emploi du temps bien rodé, activités chronométrées, seul les nuages et la pluie pouvaient perturber organisation.

Il n’y avait jamais eu grand chose à faire au château, encore moins maintenant que ses droits ne s’étendent plus qu’au jardin de sa mère et à sa chambre. Il se surprenait parfois à se demander si la mort n’aurait pas été préférable. Une pensée morbide qui lui revient bien trop souvent ces derniers temps. Mais le petit prince est bien trop lâche, et la guerre est terminée depuis maintenant trop longtemps pour espérer le coup fatal.

Alors l’ennui, il le tue dans l’un des rares endroit encore confortable, celui qui lui ressemble, parce qu’il y voit encore les traces de sa mère, et parce que les soldats du château et la nouvelle cour ne s’intéressent guère au bassin du jardin. Hayan y passe donc la journée, laissant les rayons du soleil caresser sa peau - probable désire inconscient de se démarquer des canons de beauté, ou de s’accrocher à ce qui reste de son royaume ; le soleil, ce que les Moon ne pourront jamais éteindre, ce  qui lui rappel qu’il peut encore se battre, même si tout lui semble impossible.

C’est ce qu’il écrit inlassablement dans son journal. Vieux codex offert par son frère il y a plusieurs années de cela.

Dedans il écrit tout : la guerre, ses pleurs, Sejun, ses rêves brisés, la peur de l’avenir, sa colère.

Sa plume transperce parfois les pages victimes de ses émotions trop puissantes. Il n’a plus d’arc pour se défouler, il n’y a plus la guerre pour exprimer sa douleur. Il est coincé entre les murs de son palais qui ne sera plus jamais réellement le sien, à planter des plantes qui n’auront jamais plus la même saveur, à essayer de trouver un peu de bonheur dans une prison qui ne brillera jamais assez pour le rendre heureux.
C’est ce qu’il écrit.

Que Sejun n’est pas là, qu’il ne peut toujours pas parler à son père, qu’on lui refuse la chasse, qu’il n’a pas le droit de se rendre au village, qu’il espère pouvoir demander à participer à la foire du printemps. Il a ses arguments, mais aucune envie de se ---

Puis il y a cette voix. Douce mélodie tranchante qui sonne brutalement à ses oreilles. Sursaut douloureux et corps qui roule sur le dos pour faire face à l’ombre imposante. Il a les yeux grands ouverts, et la main qui garde le reflexe du chevalier : trouver une arme, la dague à sa ceinture qu’il ne quitte jamais. Ses iris croisent celle de Sejun au moment même où sa main se ferme sur le vide. Il n’a plus rien pour se défendre. Prince prisonnier, à la merci de son ennemi.

C’est un soupire résigné et agacé qui s’échappe de ses lèvres en guise de réponse. « Déjà rentré ? » Question rhétorique pour marquer son agacement. Le prince n’a de prince que le titre. Rien en lui ne respire ce que Haeun était. Il n’y aucune bienveillance dans ses mots, aucune tendresse dans ses gestes, aucune affection dans son regard. Sejun est un soldat, pas un prince, et jamais Hayan ne voudra jamais de ses baisers.

Sa main ferme brusquement le carnet sur lequel il écrivait en entendant la question, laissant la plume en verre rouler dans l’herbe. Il l’observe quelques secondes, se demandant s’il était utile de se lever pour la ramasser. Réflexion éphémère, il reporta distraitement son attention sur son geôlier tout en roulant des yeux. « Sûr ça aussi, je dois te rendre des comptes ? Peut-être que tu pourrais me faire la liste de mes droits, ça irait probablement plus vite à retenir. » Qu’il crache, tout en lançant un regard en direction des trois gardes postés à quelques mètres de lui, et qui ne le quittaient à aucun moment de la journée.

Hayan aurait presque envie de pleurer de rage, mais il ne s’abaisserait pas à ça devant le prince. Il préfère être dans la solitude de sa chambre d’enfant qui n’a plus rien d’une pièce réconfortante. Son palais est sa propre prison, une pâle copie de ce qu’à un jour était son paradis, parasité par des hommes en uniformes bleues qui ne voient en lui qu’une poupée prête à être utilisée. Probablement ce que Sejun voit de lui aussi, enjolivant la situation de mots doux et de promesses qu'il ne respectera jamais.

Le mariage comme seconde prison.